Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


26 août 2014

Ivan illich : "Convivialité" & André Gorz, ce penseur pour le XXIe siècle). Pour une écologie politique...




Ecrit en 1973, à partir d’un document de travail rédigé l’année précédente dans le cadre d’un Symposium organisé à Ottawa ce petit livre, véritable ‘extrait sec’, a gardé tout son caractère d’actualité. Mieux, il anticipe et pose les fondations de la réflexion de l’écologie politique contemporaine. Moult des thèmes exposés en ces pages seront repris et développés avec fortune par André Gorz, dont l’émission « Là-Bas si j’y suis » de Daniel Mermet vient de consacrer deux de ses journées pour présenter, au travers de nombreuses archives audio ainsi que d’un entretien avec Christophe Fourel, l’œuvre intellectuelle  tant que la biographie de ce ‘Penseur pour le XXIe siècle’.

Christophe Fourel est le coordinateur du collectif, paru à la Découverte en 2009, « André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle ».

Lien vers la première émission de « Là-Bas si j’y suis » consacrée à André Gorz 





Revenons à l’ouvrage d’Ivan Illich 
En voici quelques extraits ; notes de lectures éparses, prises dans l’ordre et sans aucun commentaire ni jugement de valeur de ma part. Invite à la réflexion, la critique, aux développements, contradictions et enrichissements de toutes sortes…

Qu’est ce qu’une société conviviale ?
« J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ».    

Sur le prestige de la profession médicale :
«… les résultats statistiques sur lesquels se fonde de plus en plus le prestige de la profession médicale ne sont pas, pour l’essentiel, le fruit de ses activités. La réduction souvent spectaculaire de la morbidité et de la mortalité est due surtout aux transformations de l’habitat et du régime alimentaire, et à l’adoption de certaines règles d’hygiène toutes simples. (…) Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine. (…) Et le médecin s’est transformé en mage, ayant seul le pouvoir de faire des miracles qui exorcisent la peur engendrée par la survie dans un mode devenu menaçant. (…) On a rendu impossible à la grand-mère, à la tante ou à la voisine de prendre en charge une femme enceinte, le blessé, le malade, l’infirme ou le mourant, ce qui crée une demande impossible à satisfaire. Au fur et à mesure que monte le prix du service, le soin personnel devient plus difficile, et souvent impossible. En même temps, de plus en plus de situations courantes deviennent justifiables d’un traitement, dès lors que se multiplient des spécialités et des paraprofessions dont la seule fin est de maintenir l’outillage thérapeutique sous le contrôle de la corporation. (…) Dans les pays riches, la population vieillit. Dès qu’on entre sur le marché du travail, on se met à épargner pour contracter des assurances qui vous garantiront, pour une durée de plus en plus longue, les moyens de consommer les services d’une gériatrie coûteuse. (…) En deux jours d’hôpital, un Américain dépense le revenu annuel moyen de la population mondiale. (…) L’important est de comprendre ceci : au début du siècle la pratique médicale s’est engagée dans la vérification scientifique de ses résultats empiriques (premier seuil). Le second seuil fut atteint lorsque l’utilité marginale du ‘plus de spécialisation’ se mit à décroître. Ce dernier a été dépassé lorsque la désutilité marginale s’est mise à croître à mesure que la croissance de l’institution médicale en venait à signifier davantage de souffrances pour plus de gens. C’est alors que l’institution médicale redoubla d’ardeur pour chanter victoire. Les virtuoses de nouvelles spécialités mettaient soudain en vedette quelques individus atteints de maladies rares. La pratique médicale se centrait sur des opérations spectaculaires (…) La foi dans l’opération miracle aveuglait le bon sens et ruinait l’antique sagesse en matière de santé et de guérison. Les médecins répandaient l’usage immodéré des drogues chimiques dans le grand public. A présent, le coût social de la médecine n’est plus mesurable en termes classiques. Comment mesurer les faux espoirs, le poids du contrôle social, la prolongation de la souffrance, la solitude, (…) le sentiment de frustration engendrés par l’institution médicale ? »

Dogme de la croissance et foi utilitaire :
« Le dogme de la croissance accélérée justifie la sacralisation de la productivité industrielle, aux dépens de la convivialité.(…)
Les institutions politiques elles-mêmes fonctionnent comme des mécanismes de pression et de répression qui dressent le citoyen et redressent le déviant, pour les rendre conformes aux objectifs de production. Le Droit est subordonné au bien de l’institution. Le consensus de la foi utilitaire rabaisse la justice au simple rang d’une distribution équitable de produits de l’institution. Une société qui définit le bien comme la satisfaction maximale du plus grand nombre de gens par la plus grande consommation de biens et de services industriels mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne ».    

Prix de l’inversion (vers une société conviviale) :
« Le passage à une société conviviale s’accompagnera d’extrêmes souffrances : famine chez les uns, panique chez les autres. (…) La survie dans l’équité ne sera ni le fait d’un oukase des bureaucrates ni l’effet d’un calcul des technocrates. Elle sera le résultat du réalisme des humbles. La convivialité n’a pas de prix, mais on sait trop bien ce qu’il en coûtera de se déprendre du modèle actuel. L’homme retrouvera la joie de la sobriété et de l’austérité… »    
 
Ivan Illich
L’invention de l’éducation :
« L’invention de l’ « éducation » : on a tendance à oublier que le besoin d’éducation, dans son acception moderne, est une invention récente (…). Pour Voltaire, le vocable ‘éducation’ était encore un néologisme présomptueux. (…) Comenius, évêque morave du XVIIe siècle, se nommait lui-même comme l’un des fondateurs de l’école moderne. Ce fut aussi un alchimiste qui adapta le vocabulaire technique de la transmutation des éléments à l’art d’élever des enfants. (…) La pédagogie a ajouté un chapitre à l’histoire du Grand Art. L’éducation devint la quête du processus alchimique d’où naîtrait un nouveau type d’homme, requis par le milieu façonné par la magie scientifique. (…) L’individu scolarisé sait exactement à quel niveau de la pyramide hiérarchique du savoir il s’en est tenu (…) Le service ‘éducation’ et l’institution ‘école’ se justifient mutuellement. L’institution pose des valeurs abstraites, puis les matérialises en enchaînant l’homme à des mécanismes implacables (…) Jadis l’existence dorée de quelque uns s’appuyait sur l’asservissement des autres. Entre le haut Moyen Âge et le Siècle des Lumières, en Occident, plus d’un authentique humaniste s’est fourvoyé dans le rêve alchimique. L’illusion consistait à croire que la machine était un homme artificiel qui remplacerait l’esclave».  

De l’aveuglement :
« Un société où la plupart des gens dépendent, quant aux biens et aux services qu’ils reçoivent, des qualités d’imagination, d’amour et d’habileté de chacun, est de la sorte considérée comme sous-développée. En retour, une société où la vie quotidienne n’est plus qu’une suite de commandes sur la catalogue du grand magasin universel est tenue pour avancée (…).
L’outil destructeur accroît l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance ; il dérobe au pauvre sa part de convivialité pour mieux frustrer le riche de la sienne.
L’homme moderne a du mal à penser le développement et la modernisation en termes d’abaissement plutôt que d’accroissement de la consommation d’énergie (…) Il nous faut quitter l’illusion qu’un haut  degré de culture implique une consommation d’énergie aussi élevée que possible ».  
  
Du travail et du prêt à intérêt :
« Le prêt à intérêt était condamné par l’Eglise comme une pratique contre nature : l’argent était par nature un moyen d’échange pour acheter le nécessaire, non un capital qui pût travailler ou porter ses fruits. Au XVIIe siècle, l’Eglise elle-même abandonna cette conception pour accepter le fait que les chrétiens étaient devenus des capitalistes marchands. L’usage de la montre se généralisa et, avec lui, l’idée du ‘manque’ de temps. Le temps devint de l’argent. (…)
Au Xxe siècle, l’esclave laboureur (cède la place) à l’esclave ouvrier ».    

Retour sur la médecine : la dé-professionnalisation :
« A l’image de ce que fit la réforme en arrachant le monopole de l’écriture aux clercs, nous pouvons arracher le malade aux médecins. Il n’est pas besoin d’être très savant pour appliquer les découvertes fondamentales de la médecine moderne, pour déceler et soigner la plupart des maux curables, pour soulager la souffrance d’autrui et l’accompagner à l’approche de la mort. Nous avons du mal à le croire, parce que, compliqué à dessein, le rituel médical nous voile la simplicité de l’acte.
La possibilité de confier des soins médicaux à des non-spécialistes va à l’encontre de notre conception du mieux-être, due à l’organisation régnante de la médecine. Conçue comme une entreprise industrielle, elle est aux mains de producteurs qui encouragent la diffusion des procédés de pointe coûteux et compliqués, et réduisent ainsi le malade et son entourage en clients dociles.
L’organisation médicale protège son monopole orthodoxe de la concurrence déloyale de toute guérison obtenue par des moyens hétérodoxes. (…) Le patient se confie au médecin non seulement à cause de sa souffrance, mais par peur de la mort, pour s’en protéger. (…) Le courage de se soigner seul n’appartient qu’à l’homme qui a le courage de faire face à la mort ».     

Transports :
« L’intoxication à la vitesse est un bon terrain pour le contrôle social sur les conditions du développement. L’industrie du transport, sous toutes ses formes, avale 23% du budget total de la nation américaine, consomme 35% de l’énergie, est à la fois la principale source de pollution et la plus importante raison d’endettement des ménages ».    

Industrie de la construction :
« Le Droit et la finance sont derrière l’industrie, ils lui donnent le pouvoir d’ôter à l’homme lafaculté de construire sa propre maison. (…) car le nouveau code de l’habitat édicte des conditions minimales qu’un travailleur qui construit sa maison sur son temps libre ne peut pas remplir. (…) Aujourd’hui les soins, les transports, le logement sont conçus comme devant être le résultat d’une action qui exige l’intervention de professionnels ».    

Déséquilibres :
« La dynamique du système industriel actuel fonde son instabilité : il est organisé en vue d’une croissance indéfinie, et de la création illimitée de besoins nouveaux – qui deviennent vite contraignants dans le cadre industriel. (…) L’éducation produit des consommateurs compétitifs (…). Qu’à travers l’assurance, la police et l’armée croisse le coût de la défense de nouveaux privilèges, cela caractérise la situation inhérente à une société de consommation ; il est inévitable qu’elle comporte deux types d’esclaves, ceux qui sont intoxiqués et ceux qui ont envie de l’être…
Juguler la pollution exige des investissements, en matériel et en énergie, qui recréent ailleurs, le même dommage à plus large échelle. Si l’on rend obligatoire les dispositifs antipolluants, on ne fait qu’augmenter le coût unitaire de production…. On accentue les écarts sociaux. (..)
Bourreaux et victimes sont confondus dans la dualité opérateurs / clients ».    

Crise écologique et bombe démographique :
« … si l’on veut honnêtement contrôler la bombe démographique et stabiliser la consommation, on s’expose à être traité ‘d’anti-peuple et d’anti-pauvre. (…) Des mesures impopulaires (limitant à la fois les naissances et la consommation) sont le seul espoir qu’à l’humanité d’éviter une misère sans précédent (…)
L’honnête oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et du gaspillage (…). La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin l’un de l’autre. Une telle inversion des vues courantes réclame de qui l’opère du courage intellectuel. En effet, il s’expose à une critique douloureuse à recevoir : il ne sera pas traité seulement d’anti-peuple et d’anti-pauvre, mais aussi d’obscurantiste opposé à l’école, au savoir et au progrès».    

Monopole radical :
« Que les gens soient obligés de se faire transporter et deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical (…).
Les autodidactes sont officiellement étiquetés comme ‘non éduqués’. La médecine moderne prive ceux qui souffrent des soins qui ne sont pas l’objet d’une prescription médicale (…)
Le fait que des entreprises organisées de pompes funèbres en viennent à contrôler les enterrement démontre comment fonctionne un monopole radical et en quoi il diffère d’autres comportements culturel. (…)
Ces satisfactions élémentaires se raréfient (…) et ne peuvent plus être satisfaits hors commerce (…)
… Se défendre de l’obligation de consommer. »    

Schizophrénie :
« Les mêmes qui s’opposent aux voitures, en tant qu’elles polluent l’air et le silence et monopolisent la circulation, conduisent une automobile dont ils jugent le pouvoir de pollution négligeable, et n’ont aucunement le sentiment d’aliéner leur liberté lorsqu’ils sont au volant (….) Les consommateurs ‘accrochés’ à un produit qui s’organisent pour se défendre, a pour effet immédiat d’accroître la qualité de la drogue fournie ».    

Mauvais consommateurs :
« On accusera le sous-consommateur de saboter l’effort national. (…) refuser la consommation médicale équivaut à faire profession immoralité publique.



Sur-Programmation :
« Plus de gens savent plus de choses, mais tout le monde ne sait plus faire toute chose également bien. (…) Il n’y a pas loin de l’obligation d’aller à l’école, ou ailleurs, à celle d’aller à l’église. (…) ce que les gens apprennent dans les écoles, c’est avant tout de mesurer le temps avec la montre du programmeur (…). Qu’apprend-t-on à l’école ? On apprend que plus on y passe de temps, plus on vaut cher sur le marché. (…) L’école sert l’industrialisation en justifiant au tiers monde l’existence de deux secteurs : celui du marché et celui de la subsistance : de la pauvreté modernisée et celui d’une nouvelle misère des pauvres. (…) L’école publique, pour continuer à jouer son rôle d’écran, coûte plus cher à ceux qui y vont, mais fait payer la note à ceux qui n’y vont pas ».   

La polarisation :
« L’industrialisation multiplie les gens et les choses. Les sous-privilégiés croissent en nombre, tandis que les privilégiés consomment toujours plus. En conséquence, la faim grandit chez les pauvres et la peur chez les riches. Conduits par la famine et le sentiment d’impuissance, le pauvre réclame une industrialisation accélérée ; poussé par la peur et le désir de protéger son mieux-être, le riche s’engage dans une protection toujours plus rageuse et rigide. (…)
Le riche prétend qu’en exploitant le pauvre il l’enrichit puisqu’en dernière instance il crée l’abondance pour tous. Les élites des pays pauvres répandent cette fable ».


  

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