Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


19 mai 2017

Comme un oiseau.... Leopardi & Francis Giauque

Pélican blanc (photo par Axel)
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« Nous ressemblons
A ces oiseaux désemparés
Que le vent déporte
De tempête en tempête
Et qui s’élancent
A l’assaut du soleil
Pour retomber calcinés
Dans la poussière de sang. »

Francis Giauque


Vautour noir (Photo par Axel)
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« Juché sur le sommet d’une vieille tourelle,
Solitaire moineau, tu chantes vers les champs
Attendant le moment où se mourra le jour.
Le vallon tout entier se remplit d’harmonie.
L’air resplendit d’éclat printanier
Et la campagne exulte, au point qu’il nous suffit
De l’observer pour que notre cœur s’attendrisse.
Tu entends les brebis bêler, meugler les vaches.
Et les autres oiseaux, rivalisent de joie,
Dessinent dans le ciel mille libres volutes
Pour célébrer leur heure à nulle autre pareille.
Toi cependant pensif, tu regardes l’ensemble.
Non, pas de compagnons. Pas de vol avec eux.
Pourquoi serais-tu gai ? Que faire de leur jeux ?
Il suffit de chanter, c’est ainsi que tu passes
La fleur de ta jeunesse et la fleur de l’année.

(….)

Leopardi
Le moineau Solitaire

Moineau domestique au jardin... (photo par Axel)

16 mai 2017

Des lectures au bord de la piscine : La tentation nihiliste de Roland Jaccard

Pegasos
Pegasos Hotel

Il convient de prêter une attention particulière aux livres que l’on emporte au bord des piscines ; une faute de goût en la matière pouvant irrémédiablement contrarier les délices du farniente balnéaire.

Et comme il y a des gradations dans le meilleur ou le pire, il est en général bon de prévoir, en quelque sorte, une tenue de rechange… Mais il y a des valeurs sures.


Quoi de plus jouissif en effet, de se retrouver par un matin calme, alangui dans un transat un Blue Greek ou une Tequila sunrise à portée de main, en compagnie de Stendal, de l’impératrice Elisabeth d’Autriche, de Schopenhauer, ou encore d’Oscar Wilde. Et, lunettes de soleil ajustées aux regards flottant des débuts de journées, relever au fil de la lecture une citation du genre :
« Je ne suis pas du tout cynique, j’ai seulement de l’expérience – c’est à peu près la même chose. »

Mais j’aurai pu tout aussi bien, plutôt qu’une phrase de Wilde, reprendre Nietzsche ou Paul Rée. Du premier, par exemple :
« Le mesure suprême de la force : dans quelle mesure un homme peut-il vivre sur des hypothèses, et non sur la croyance, c’est-à-dire s’aventurer sur des mers illimités ».
Et du second, qui se targuait d’être un « penseur occasionnel » :
« Expliquer un objet de manière trop, profonde est une plus mauvaise chose encore que de l’expliquer de manière trop plate ».

L’avantage des voyages hors saison scolaire, est de presque pouvoir éviter les familles accompagnées de leur infâme progéniture. Je dis presque car il n’est de règle qui ne souffre d’exceptions. Et il se trouvera toujours tel ressortissant russe ou bavarois pour nous imposer, outre ses borborygmes, les cris ou les pleurs des miniatures à son effigie – Pour faire bonne figure, un couple aussi de franchouillards, trainant dans leur sillage leur marmaille juste pondue. Aussi lira-t-on avec d’autant plus de délectation que « Byron proclamait son admiration pour Hérode et ne supportait en voyage la compagnie des enfants que s’il était suivi d’un étrangleur. »



Il y a tout cela, et plus encore dans La Tentation nihiliste de Roland Jaccard. Tout d’abord une mise en ambiance avec valeur quasi programmatique : « Le nihiliste moderne préférera les grands hôtels au tonneau de Diogène : c’est dans les salons des palaces qu’il observera l’étrange bestiaire des « caractères » et l’incessant manège des homuncules courant après leurs vices et leurs affaires qui d’ailleurs n’en font qu’un.  (…) cette compagnie de dandys et de coquettes, de gandins et de séductrices n’est en réalité qu’une horde de loqueteux auxquels on a arraché le visage, dépiauté l’enveloppe ; ils volettent d’un point lumineux à un autre pour se dérober aux ténèbres qui pèsent sur leurs ailes… ».
Le délice aussi d’un ton de conversation cultivée, flattant notre goût des petites phrases, des fragments, avec cet art, sans en avoir l’air, de toucher au cœur…

Ainsi : « Tout journal intime est celui d’un homme de trop ». Mais aussi : « …. C’est sur une chaise électrique qu’on devrait asseoir tous ceux qui rêvent de laisser une trace en nous assenant le récit de leurs exploits. S’ils ont droit parfois à notre indulgence, à nos sourires complices, à notre admiration torve, c’est pour avoir bravé le ridicule… Ce qui, après tout, est une forme d’héroïsme qui en vaut d’autres et qui mérite bien les applaudissements des badauds. »



Et si j’ai évoqué les bénéfices à se prélasser au bord de la mer Égée lorsque les enfants sont à l’école, il se dégage parfois a contrario, en ces périodes en demi-teinte, le sentiment d’être cerné par les pensionnaires d’une maison de retraite ; avec un état de décrépitude bien avancée pour certains, qui nous fera relever cette autre phrase : « Il nous en faudra une bonne dose pour nous écrier joyeusement au soir de notre vie :comme je deviens pittoresque !’  »

Bref, aucune ne saison ne pourrait convenir. De toute façon « Nous nous flattons d’aimer l’homme, mais nous haïssons notre voisin. » Et au bord de la piscine, ou à la plage, les voisins grouillent… Alors, sinon sur les fesses d’une jolie fille, autant porter son regard sur la ligne d’horizon, au loin là où le ciel mange la mer et, avec Cioran, relever que « La mélancolie n’est pas le malheur, mais le sentiment de malheur…. ». Nous rappelant en même temps qu’« aucune dépression ne résiste à une heure de travaux manuels. » et que « c’est le confort qui permet au désespoir cosmique de s’épanouir. Le ventre vide on ne désespère jamais de l’univers. »

Mais le soir approche, l’ombre s’avance sur l’hôtel et notre verre est vide. Une amertume sans net contours nous gagne… C’est toute l’ambivalence du rapport à nos congénères. Sans eux on ne pourrait vivre. Mais dès que leur haleine se fait sentir dans notre dos nous prend des envies de meutre !
La plage peu à peu est rendue à son désert. 
Imperceptiblement, sans avoir l’air d’y toucher. Les dernières gouttes de soleil s’épuisent – on voudrait les retenir. Là-bas, sur les planches un jeune couple s’enlace avant de rentrer. Et penser, avec Proust : « Ce qu’il y a de bien avec le bonheur des autres, c’est qu’on y croit ».

Voilà qu’« à peine a-t-on appris à se connaitre et à s’accepter que déjà la vie nous quitte ».

Un livre de voyage, assurément…

11 mai 2017

Ancient Silk Factory...

Ancient silk factory
(Photo par Axel)

J’ai déjà ici évoqué largement le goût qu’il peut y avoir à se perdre parmi les ruines et vestiges des époques effondrées. Invitation à la modestie que ces vastes cimetières, ou il arrive de croiser, égaré face à la mer au milieu des débris,  tel Prométhée enchainé, le buste en marbre d’un dignitaire au nom disparu depuis des dizaines de siècles…

Mais si les squelettes de pierres des époques reculées fascinent, d’aucuns nourrissent de même une appétence particulière pour les cadavres des époques plus récentes. Ainsi, par exemple, les restes de l’époque industrielle. Ces « abandonned places » de béton aux peintures dévalées, envahies par la végétation ; ronces et herbes folles.

Y émergent des plaques de métal tordu, mangées de rouille. Des fils de fer, des machines expirées, des  rouages enraillés dont on peine à imaginer parfois la fonction… On se dit, il n’y a pas si longtemps de cela, que des êtres humains se courbaient là quotidiennement, à accomplir d’obscures tâches devenues aujourd’hui inutiles. 

Ancient silk factory
(Photo par Axel)


Ces usines et autres fabriques, fleurons d’une modernité déjà dépassé, se rencontrent au hasard de nos pérégrinations, souvent dans les friches industrielles en périphérie des villes, mais parfois isolées, au détour d’un village. Elles gisent impassibles et silencieuses, oubliées, attendant la destruction ou, plus improbable, un recyclage, une réhabilitation…

A s’y promener, nulle crainte d’y croiser encore de touristes (mais cela viendra sans aucun doute  - certains vont bien rôder autour du cadavre de Tchernobyl).  Tout au plus un squatteur ou quelques jeunes en quête de frissons ou d’aventure…

On the road...
On the road (Photo par Axel)
Plus inattendu est de croiser ce genre de ruines au milieu de nulle part, en pleine nature…  Ainsi cette « silk factory », située tout au sud de l’île de Rhodes, sur un chemin de terre, pas très loin de la route de Κατταβιά, dans un paysage de landes… Une petite fabrique cernée par les oiseaux, perdue dans le silence. Le lieu est aujourd’hui annoncée par un panneau situé au bord de la route principal, le signe manifeste d’un changement de perceptions, la sourde conscience d’un patrimoine en devenir… A quand les bus des tours operators ? Mais pour l’heure il est loisible encore de jouir des gravats en solitaire, d’y rêver sans être dérangé, d’y découvrir les restes d’une humanité affairée. L’empreinte du temps qui passe… L’extinction des feux avant le grand chambardement climatique. 

Ancient silk factory
(Photo par Axel)